mardi 15 janvier 2008

L’HISTOIRE DE NOTRE VILLAGE

L’histoire du village d’Ihitoussène débuta avec ce forgeron venu s’installer sur cette terre du “saint Sidi Moussa”. On raconte qu’il avait été reçu à bras ouverts, car on le savait très utile. C’est à partir de ce jour que le village grandira et connaîtra des moments intenses, riches en activité. La renommée des Ahitos ira au-delà des plus lointaines contrées de la Kabylie. Avec une enclume, un soufflet, des marteaux et des pinces, la forge des Ahitos allait prospérer et devenir l’épicentre des habitants des régions les plus éloignées. De l’unique enclume de la première forge, on fabriquera des dizaines d’autres pour les revendre à d’autres forgerons venus acquérir cet outil essentiel au métier. En conséquence à la prospérité de la forge d’Ihitoussène, six autres enclumes seront installées pour faire face à la demande sans cesse grandissante des objets de fer. Les autres forges qui ouvraient ici et là ne pouvaient se faire que si les propriétaires venaient s’approvisionner en matériel (enclumes, marteaux, pinces et même des soufflets) à Ihitoussène non sans avoir effectué un stage dans la forge aux “sept enclumes”, ainsi dénommée.
Sanglés de leurs tabliers de cuir fauve, muscles à l’air libre et rivières de sueur au front, les forgerons frappent à coups redoublés. Quand on est devant le four, le fer rougi n’attend pas, tout est compté. Le forgeron sort le fer incandescent, assure sa prise avec la pince et quelques rebonds à vide sur l’enclume, puis assène le premier coup. En face, le frappeur enregistre l’ordre. Il lève la masse. Ainsi commence la partition entre le marteau et la masse, aplatissant, arrondissant, courbant le fer jusqu’à lui donner la forme voulue. On ne peut parler pendant le travail à cause du bruit et les mots ne seraient pas assez précis. Le rythme imprimé par le marteau est un ordre au frappeur : plus fort, continue, arrête... D’autre part, ce tempo régulier permet d’éviter qu’on se ramasse le marteau d’en face dans la figure. C’est un véritable concert qui s’installe. La musique des marteaux sur le fer et sur l’enclume est si claire dans la fumée du charbon et le grésillement âcre des sabots brûlés qu’elle s’oublie au fil des heures de travail. La forge des Ahitos, qui est l’une des premières de la Kabylie et même d’Algérie, a vu passer plusieurs générations de forgerons et d’apprentis. Dans le village, le métier se transmet de père en fils. Au demeurant, cela ne diminue pas le prestige des forgerons d’Ihitoussène. On sait faire la différence entre le bon produit et le moins bon. On est avide de perfectionnement. Pour cela “la main des Ahitos est inégalée, et il n’existe aucun artisan qui peut rivaliser d’adresse avec ces dompteurs de fer”, ne cesse-t-on de répéter. Sur un autre plan, celui-ci héroïque, les forgerons d’Ihitoussène ont marqué de leur empreinte les insurrections d’abord de la Lalla Fatma n’Soumer et ensuite celle d’El-Mokrani en 1871, en fournissant des armes qu’ils fabriquaient eux-mêmes, mais aussi des hommes, dont plus d’une quarantaine sont tombés au champ d’honneur, notamment durant la bataille des Icheridène. Il furent enterrés tous, en ce temps-là, dans le vieux cimetière d’Anar au village. que tous ces hommes, morts pour leurs pays, reposent en paix et que leur métier puisse encore se perpétuer ! il y va du prestige et de la gloire du village. Pour cela, une association culturelle dénommée Sevâa Zvari (les sept enclumes) Ihitoussène a été créée pour restaurer et perpétuer ce métier, considéré comme la racine du village. Le journal de l’association, Tiftilt, et qui s’est arrêté au 2e numéro, permettait de véhiculer toutes les informations à la fois sur la forge et sur le village. Ce métier traditionnel, bien sûr, continuera toujours à exister aussi longtemps qu’existera l’agriculture. On ne pourra jamais se passer du forgeron pour arranger sa faucille, aiguiser ses couteaux, ses haches, ses pioches et même ses socs de charrue pour les labours traditionnels (animaux de trait) qui existent encore sur nos montagnes inaccessibles aux tracteurs.
Par C. Nath Oukaci, Liberté